Patrice Lair (OL) : « L’aboutissement, ce serait de faire le triplé »

Lors d'une matinée ensoleillée sur le terrain n°9 de la Plaine des Jeux de Gerland, Patrice Lair a pris le temps de répondre aux questions de footofeminin.fr. Après le titre glané à Montpellier, le coach rhodanien, insatiable, veut encore plus. Et plus, c'est remporter la Ligue des Champions contre un club allemand mais aussi le challenge de France. Pour cela il faudra battre Juvisy, une bête blessée, dimanche en quart de finale. Le coach de l'OL évoque aussi l'équipe de France, la D1 et l'évolution du foot féminin en France.




Le cinquième titre glané à Montpellier

(photos : foot69, A.Ortega)
« J’ai gagné deux challenges de France avec Montpellier et terminé deux fois vice champions. Gagner mon premier titre de champion de France à Montpellier, c’était symbolique. Il n’y a eu aucune animosité même si ça ne s’est pas toujours bien passé avec certaines personnes là-bas. Et puis ça m’a permis d’inviter le groupe chez moi pour fêter ça, c’était bien. C’est quelque chose de sympa d’avoir plié le championnat comme ça avec autant de victoires. Ce n’est pas un aboutissement, l’aboutissement ce serait de faire le triplé en gagnant cette Ligue des Champions qui serait une première pour le foot féminin français. Est-ce qu’il a moins de saveur à cause de tous ces succès ? Non, je savoure quand même car on a travaillé pour ça et c’était un des objectifs de début de saison. Même si on a un effectif de qualité, certaines équipes ont, peut-être, un peu manqué d’ambition pour nous inquiéter. Je pense notamment à Montpellier qui nous a rencontré deux fois alors que nous étions dans une série de 5 matches en 14 jours. C’est à ce moment-là qu’il fallait jouer sur notre fatigue, mettre plus d’impact et nous mettre en difficulté. Ca nous a permis de gagner ces deux matches 1-0. Tant mieux pour nous. Pour l’instant c’est une belle saison. »

Faire mieux que les garçons

« Je l’ai demandé aux filles, je ne sais pas combien de temps je resterais à Lyon mais tant que je serais là, mon objectif sera de faire mieux que les garçons, c’est-à-dire d’avoir huit titres. Je remarque aussi qu’en ce moment, tout le monde s’accroche à nous. Quand on regarde au plan européen, il n’y a plus qu’une équipe française en lice, filles et garçons compris, c’est l’OL féminin. Il n’y a que nous et j’espère qu’il y aura un certain engouement pour cela. On le ressent un peu dans les médias puisqu’on nous téléphone beaucoup plus, c’est bien pour le foot féminin français. »

L’incroyable série : 18 matches, 18 victoires

« Je ne m’attendais pas à ce qu’on fasse une telle série mais je m’attendais à être devant dès le début. Car nous avons des moyens considérables, nous sommes professionnels, on a des structures d’un club de haut niveau, c’est logique d’être champion de France. Mais les matches il faut aussi être capable de les gagner car il peut toujours y avoir une blessure, une expulsion. Il faut aller chercher ces victoires et les filles ont été extra. Si par bonheur, on se qualifie en challenge et contre Arsenal, je ne vois pas comment on pourrait nous empêcher d’avoir 22 victoires en 22 matches de championnat. Les victoires appellent les victoires et je savais très bien qu’en gagnant à Zvezda, on gagnerait à Montpellier. Si on est très fort dans la tête, on est costaud sur e terrain. Il faut garder cet état d’esprit de vouloir gagner tous les matches tout en respectant les autres équipes pour ne pas fausser le championnat. Il reste aussi deux derbies et même si je viens d’arriver, on n’a pas le droit de les perdre, il nous faut deux victoires. »

L’OL fait des jaloux : « Ca fait partie du jeu »

« C’est un petit peu idiot car on a des moyens un président qui est motivé. Ce qu’ils n’arrivent pas à comprendre, c’est qu’ils nous motivent encore plus. On joue sur un synthétique la semaine dernière et ça nous donne encore plus de motivation pour gagner le match. Ca nous passe au-dessus de la tête car on est dans le vrai, mais les autres clubs sont les premiers à nous demander des places quand on est en Coupe d’Europe. Je ne leur en tiens pas rigueur car quand j’étais à Montpellier c’était aussi tendu avec l’OL. C’est un petit peu français de jalouser ceux qui réussissent mais ça ne fait rien, ça fait partie du jeu. Il faut qu’on soit performant pour que les clubs soient jaloux, mais il faut également leur donner des moyens pour qu’ils nous rattrapent un petit peu. A Montpellier, même si Nicollin en donne, il pourrait en mettre un peu plus, il faudrait aussi que Sadran se réveille un peu. Le PSG c’est pareil. J’ai aussi peur qu’il n’aille pas en Coupe d’Europe cette année et que le club ne mette plus de moyens pour la section féminine. »

« Faire un gros match contre Juvisy »

« Dimanche dernier, elles ont perdu tous leurs espoirs au niveau de la deuxième place européenne. Il leur reste le Challenge, ça ne va pas être évident car il y a de très bonnes joueuses qui ont fait la Coupe d’Europe. Elles ont été loin d’être ridicule contre Potsdam. Avec Thiney devant, Soubeyrand sur coups de pied arrêtés et Machart, ça tient la route. Si elles avaient deux ou trois joueuses de plus dans leur effectif, elles seraient encore dans la course pour la Ligue des Champions. Leur terrain est petit et ne sera pas d’une excellent qualité, ça nivellera les valeurs, ce sera donc difficile. Il y a aussi un peu de fatigue de notre côté, il va falloir faire un gros match pour se qualifier. On va tout faire mais ce ne sera pas évident. Ca va se débloquer sur coups de pied arrêtés et sur la qualité du jeu qu’on va être capable de développer.»

« Avec ce groupe, j’ai repris du plaisir… »

« Il faut toujours aller plus loin et toujours en demander plus. Si un entraineur ne relève pas les challenges, les filles vont se relâcher. Alors on remet le couvert. C’est dur psychologiquement et certaines filles sont usées. En moins d’un mois des joueuses comme Sonia Bompastor ont fait neuf matches en comptant l’Équipe de France. Un garçon ne peut pas faire ça, il pète un câble. Les filles tiennent le coup, on dit que la femme n’est pas forte, ce n’est pas vrai. Elle est très costaude, physiquement, psychologiquement. Pour ma part, je préfère avoir ces challenges de victoire plutôt que de m’emmerder en milieu de tableau chez les garçons. Au niveau sentimental, il y a des liens extraordinaires, j’étais vachement content de retrouver Sonia (Bompastor), Camille (Abily) parce que je les avais déjà côtoyés. Louisa (Necib), « Thom »(Thomis), Sabrina Viguier et d’autres joueuses que j’ai découvert. Elles ont un côté hyper attachant, je ne leur fais pas de cadeaux mais elles savent que c’est pour qu’elles soient performantes. Et puis les filles n’oublient pas, les garçons ce n’est pas pareil, ils te retéléphonent dix ans après quand ils n’ont pas de club. J’ai réussi à faire revenir Camille et Sonia comme ça parce qu’on avait gardé des relations. Et puis tu as aussi envie qu’elles réussissent. Elles n’ont pas tous les avantages des garçons, on veut s’en rapprocher mais il faut garder son identité. Rester super sympa avec tout le monde, être abordable pour les supporters, les gamines. Il faut garder ça, ne pas tomber dans le professionnalisme bête et méchant. En tout cas, avec ce groupe, j’ai repris du plaisir sur le terrain. Car à un moment, j’avais perdu l’envie d’aller à l’entraînement, c’était une corvée pourtant je fais un métier extraordinaire. »

Une D1 entièrement pro ?

« Pour l’instant c’est du domaine du rêve, j’espère que ça viendra que les clubs mettront un petit budget dans leur section féminine mais pour l’instant c’est trop tôt. Essayons d’être intelligent, patient en prêtant par exemple les filles qui ne passent pas à l’OL dans d’autres clubs pour qu’il y ait un nivellement des valeurs. Ce qui fait mal, c’est quand les gens ouvrent le journal et qu’ils voient des 8 ou 10-0, ce n’est pas bon. Je préfère gagner des matches difficilement 1-0 plutôt que d’en mettre 10, ça ne sert à rien et le foot n’est pas crédible. La Fédé, grâce à Guy Ferrier, va essayer d’améliorer ça notamment au niveau des U19. Plus ce championnat aura un niveau élevé, plus des filles passeront le cap de la D1 et c’est à ce moment-là que l’on aura un championnat plus costaud. Il faut aussi que les clubs pros se secouent un petit peu et que les présidents de club prennent en considération ce foot féminin. Je ne dis pas qu’il fasse comme l’OL mais qu’il planche sur une réflexion. Je pense à Rennes, Bordeaux, Strasbourg pour avoir des affiches. En France, l’OM a compris qu’au niveau de l’image, il fallait créer un club féminin. Il faut que l’on arrive à avoir un championnat avec des clubs pro tout en gardant une porte ouverte à d’autres clubs qui méritent d’être dans l’élite. Je ne vois pas pourquoi un club comme Soyaux qui a une certaine histoire ne pourrait pas figurer dans ce championnat. »

L’année ou jamais pour le foot féminin français

« Les gens commencent à comprendre… Sur le match de Zvezda, il y avait de l’impact, des duels, un superbe but de Lara (Dickenmann) qui est passé à droite à gauche. Ca peut être des bonnes petites choses qui attirent du monde…C’est le moment. Ce que j’essaye de faire comprendre aux filles, c’est que nous sommes dans l’année de la Coupe du monde, c’est l’année ou jamais pour marquer un grand coup aussi bien avec le club qu’avec la Sélection. Il faut préparer les filles à la Coupe du monde pour que Bruno les récupèrent en forme pour aller le plus loin possible et porter haut les couleurs de l’équipe de France. C’est un travail d’équipe, il faut se montrer au monde, les filles ont une chance extraordinaire, il faut la saisir au passage. Ca donnerait un petit coup de boost assez sérieux au foot féminin en France. Je ne dis pas que tout va marcher derrière mais ça peut faire avancer certaines choses. A l’OL on peut aussi aider à l’épanouissement du foot féminin dans cette fin de saison. Les filles le comprennent, elles vont tout donner, comme d’habitude. Si nous on pouvait gagner cette Champion’s League ça serait vraiment bien car il y a la Coupe du Monde juste derrière. »

Equipe de France : « Nous enlever nos complexes »

« Si on parvient à gagner la Ligue des Champions, ça voudrait dire qu’on serait arriver à battre un club allemand en finale. Il y aurait alors cette confiance qui s’installerait pour la Coupe du monde car en France on fait quelquefois un complexe d’infériorité même si on a autant de qualités que les équipes allemandes. Contre elles, on a toujours l’impression qu’on peut les battre mais elles sont tellement sûres de leur force, de leur confiance. Il faut qu’on y a arrive aussi…. Je suis allé voir des tournois avec le Japon, le Brésil, les Etats-Unis franchement il y a une quatrième équipe qui peut rentrer là dedans mais il faut nous enlever nos complexes. Il faut qu’on soit costaud passer notre poule mais on la passera, je ne suis pas inquiet de ce côté-là. Les équipes des pays nordiques, les Allemandes ne sont pas meilleures. J’ai dit à Lotta (Schelin) : « T'es la meilleure joueuse là-bas, mais si vous jouez la France, vous ne les battrez jamais, c’est plus costaud ». Il faut les persuader qu’on peut être une grande nation du foot féminin. »

Thibault Simonnet


Samedi 2 Avril 2011
Thibault Simonnet